«La collaboration avec la population a été exceptionnelle»

Hans Aschmann, ingénieur, a dirigé dans les années 1960-1961 les premiers travaux de construction d’un pont suspendu au Népal ayant bénéficié du soutien de la Suisse. Il revient pour nous sur cette mission de pionnier.

Le sherpa népalais Ang Tsering Sherpa dessine au pinceau un élément du pont en couleurs.

«Le membre de notre équipe qui était le plus probablement le plus important était le sherpa Ang Tsering, un guide de montagne expérimenté.» © DDC / Hans Aschmann

L’ingénieur suisse Hans Aschmann (30.11.1934–07.10.2023).
L’ingénieur Hans Aschmann (30.11.1934–07.10.2023) © DDC / Hans Aschmann

En 1960, la coopération au développement n’en était qu’à ses balbutiements. Comment en êtes-vous venu à travailler au Népal?

J’avais fait l’école d’ingénieurs de Winterthour et travaillé ensuite à 3000 mètres d’altitude pour une station radar de la Confédération. Cela consistait en des travaux de construction dans des cavernes et galeries, dans lesquels les systèmes de tirant de roche jouaient un rôle important. L’expérience technique que j’y ai acquise m’a servi lorsque j’ai entendu parler du poste au Népal et que j’ai postulé. La région m’intéressait tout simplement. J’avais lu «Transhimalaja», de Sven Hedin et connaissais également les publications de Toni Hagen, qui avait parcouru 13'000 kilomètres à pied pour effectuer des relevés géologiques au Népal. Il a joué un rôle précurseur. Il m’a fallu patienter encore un an, ce qui m’a permis de peaufiner ma préparation. J’avais 26 ans à l’époque.

Vous avez dû, vous aussi, entreprendre de longues marches?

Quand je suis arrivé à Katmandou, je ne cessais de poser des questions. Un jour, on m’a dit d’aller tout simplement voir par moi-même. À l’époque, il n’y avait pas de route qui reliait Katmandou à la partie ouest du pays. J’ai donc marché durant cinq jours et suis parvenu sur le lieu où devait être construit le pont, une profonde gorge dans la vallée de la Marsyangdi.

J’ai donc marché durant cinq jours et suis parvenu sur le lieu où devait être construit le pont.
Hans Aschmann
L’ingénieur suisse Hans Aschmann en 1961 sur le chantier de construction d’un pont suspendu au Népal.
«Il s’agissait tout simplement, à l’époque, de se lancer dans l’aventure»: Hans Aschmann sur le chantier en 1961. © Helvetas

Comment est né le projet qui a fait école par la suite?

Les Américains avaient négocié la construction de ponts avec les autorités népalaises mais le projet n’avançait pas car il manquait des experts népalais pour conduire les travaux. Rolf Wilhel, le responsable de l’équipe Helvetas à Katmandou, était marié une Américaine et entretenait un lien spécial avec la coopération au développement aux États-Unis. Il a proposé de fournir des experts et une formation.

L’approche suisse était-elle différente de ce qui avait été fait jusqu’alors?

Il était important que les éléments en acier destinés à la construction du pont soient fabriqués dans le pays, dans l’atelier qu’Helvetas avait installé à Katmandou. Seuls les câbles métalliques étaient importés; les Américains les ont mis à la disposition du département des routes népalais. Les ateliers qui ont, par la suite, souvent été créés par des collaborateurs ayant contribué à cette première entreprise sont indissociables du programme dans son ensemble.

Des appareils et machines modernes peuvent être utiles pour une construction simple. De quoi disposiez-vous dans cet endroit reculé?

Nous avions besoin d’un marteau à percussion à essence et de tiges de forage pour préparer le dispositif de tirants de roche, d’une presse hydraulique pour tester l’ancrage et d’engins de traction Habegger pour tendre les câbles. Tout devait être acheminé depuis la Suisse puis transporté à pied jusqu’au site de construction au Népal. Les charges supportées par les porteurs étaient énormes.

Des Népalais apportent des câbles métalliques sur le site de construction d’un pont suspendu.
«Il a fallu tout porter jusque sur le site du chantier. Les charges supportées par les porteurs étaient énormes.» © DDC / Hans Aschmann

Et qui a réalisé les travaux?

Des habitants des villages locaux. Confrontés quotidiennement aux difficultés de la vie en montagne, ils ont fait preuve d’une grande capacité d’adaptation et d’apprentissage. Ils ont apporté la preuve de leurs compétences en réalisant rapidement de nombreux travaux, tels que des échafaudages en bambou. On m’avait confié deux techniciens, mais ils n’avaient aucune expérience des chantiers. Par ailleurs, un sherpa népalais, qui avait déjà une expédition himalayenne à son actif, m’accompagnait. Il parlait un peu anglais. La collaboration avec la population dans son ensemble a été exceptionnelle.

Comment les personnes qui ont participé au projet ont-elles été rémunérées?

On m’a donné un sac à dos rempli de petits billets en roupies, et un comptable m’a été attribué pour le paiement des salaires, l’empreinte du pouce des employés étant apposée sur les pièces comptables attestant le salaire.

Le pont était une sorte de prototype. A-t-il fait ses preuves?

En 1967, une crue extrême a entraîné le déplacement des fondations d’un pylône, ce qui a pratiquement détruit le pont. Une équipe de construction s’est alors rendue sur place et a utilisé le matériel disponible pour créer une passerelle de fortune. Je ne sais pas ce qui s’est passé ensuite.

A-t-il été possible de tirer des enseignements de cette expérience pour les autres projets de construction?

J’ai dit à mon successeur: «Sur le chantier, il faut absolument une liaison radio, ne serait-ce que pour organiser tout le ravitaillement en matériel et en fournitures.» Cela m’a manqué à l’époque et il fallait presque une semaine à un facteur pour effectuer le trajet aller-retour jusqu’à Katmandou.

Mais le principe était bon?

Dans mes rapports, j’ai noté qu’il ne fallait pas s’entêter à construire des ponts avec deux piliers par-dessus lesquels passent des câbles porteurs qui soulèvent la chaussée. Dans de nombreux endroits, une passerelle suspendue moderne relativement plate suffit. Ce type de construction plus avantageux s’est imposé.

Vous attendiez-vous à ce que la construction de ponts suspendus prenne de telles proportions?

Il s’agissait tout simplement, à l’époque, de se lancer. Mais le besoin est véritablement énorme. Lorsque la mousson transforme en masses imposantes ce qui n’était qu’un filet d’eau en hiver, on bascule dans un autre monde. Les ponts en cordage de bambou ne résistaient pas longtemps, occasionnant souvent des accidents.

Vous êtes de nouveau retourné au Népal entre 1972 et 1975? Pour quelle raison?

En 1964, au département des routes népalais compétent, un service était consacré aux ponts suspendus. À partir de 1972, j’y ai contribué à faire progresser l’activité de construction, qui était alors au point mort. Seuls deux à trois ponts étaient réalisés chaque année. Avec deux autres collaborateurs suisses, Dieter Elmer et Thomas Neidhart, j’ai pu faire passer ce nombre à vingt. Moi-même, à cette époque, je travaillais exclusivement dans le service de construction des ponts, sans activité sur le terrain. En revanche, la mission précédente sur un chantier a été le plus grand défi professionnel que j’ai dû relever au Népal.

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