Une politique étrangère cohérente dans l’espace numérique

Le numérique offre de nouvelles opportunités pour la diplomatie, la lutte contre la pauvreté et en faveur de la durabilité. Cependant, il comporte aussi des risques, par exemple lors du traitement de vastes quantités de données ou en relation avec la diffusion de fausses informations et la surveillance. Avec l’adoption de la Stratégie de politique extérieure numérique 2021–2024, le Conseil fédéral reconnaît le numérique comme une thématique prioritaire de la politique extérieure suisse.

On entre dans une salle sombre, à la lueur bleue, compartimentée en rayon par une multitude de serveurs où sont stockées les données numériques.

Vue sur une salle serveur où sont stockées et traitées des données; le numérique joue un rôle toujours plus important au quotidien. © shutterstock

«L’intelligence artificielle fait de plus en plus partie de notre vie quotidienne, également dans le contexte de la pandémie de COVID-19, où les applications numériques jouent un rôle central», écrivait le chef du Département fédéral des affaires étrangères Ignazio Cassis, en avant-propos de la stratégie de politique extérieure numérique que le Conseil fédéral a adoptée le 4 novembre pour les années 2021–2024. Celui-ci partait d’un constat évident; le monde, en constante mutation, a besoin d’une résidence numérique, soit un espace au sein duquel tous les États, les entreprises et les citoyens – tous touchés de près par les nouveaux défis imposés par le numérique –, puissent se retrouver. La Genève internationale va constituer cette plaque tournante de la gouvernance numérique. Le but est de favoriser la transparence des échanges, de renforcer le droit international et de promouvoir la coopération internationale face aux dérives, en matière de surveillance mais aussi dans le respect de l’opinion publique, tout autant qu’approfondir les avantages liés aux nouvelles technologies. Celles-ci permettent par exemple au DFAE de fournir des services consulaires de haute qualité.

L’intelligence artificielle fait de plus en plus partie de notre vie quotidienne, également dans le contexte de la pandémie de COVID-19.
Ignazio Cassis, conseiller fédéral

Le numérique, la digitalisation et l’avènement de l’internet ont, ensemble, créé d’innombrables opportunités à la politique étrangère suisse de renforcer la protection des intérêts et défendre les besoins de la communauté mondiale. «D’une part, la numérisation constitue un instrument : elle contribue à simplifier les procédures, par exemple dans le domaine des prestations consulaires ou de l’informatique. D’autre part, elle représente un nouveau champ thématique de la politique étrangère», précise le chef du DFAE Ignazio Cassis.

En revanche, cette même intelligence peut aussi desservir, voire lourdement léser. Leurs dérives causent des torts souvent mésestimés. L’espace numérique où transitent nombres de données privées comme confidentielles sont aujourd’hui le théâtre de cyberattaques qui sont susceptibles de mettre un pays à genou, autant qu’ils sont capables de violer la sphère intime de l’individu. Partant de ce constat, aucun pays, ni aucune personne, ne peuvent prétendre pouvoir se protéger seuls. La création d’une gouvernance mondiale de l’espace numérique est donc indispensable.

Le numérique pour la première fois parmi les priorités de la stratégie de politique extérieure

La stratégie de politique extérieure numérique de la Suisse énonce ainsi les grands principes d’un espace numérique ouvert, libre et sûr. Cette stratégie complète, par ailleurs, une structure plus large de la stratégie de politique extérieure de la Suisse pour les quatre prochaines années. Celle-ci est déclinée en une cascade sur trois niveaux. La Stratégie de politique extérieure 2020–2023 fixe les grands axes et priorités, tandis que les stratégies de suivi géographique et thématique précisent l’action en faveur de domaines et régions prioritaires. Ces stratégies sont toutes validées par le Conseil fédéral.

Le Conseil fédéral accorde une grande importance à la numérisation et lui consacre plus de place dans son programme de la législature 2019 à 2023.
Ignazio Cassis, conseiller fédéral

La thématique du numérique s’insère ainsi à un rang prioritaire dans la stratégie globale édictée par le DFAE. «Le Conseil fédéral accorde une grande importance à la numérisation et lui consacre plus de place dans son programme de la législature 2019 à 2023», confirme le conseiller fédéral Ignazio Cassis. «La numérisation jouera également un rôle de plus en plus important dans la politique extérieure et en faveur de la politique extérieure. Elle fait donc pour la première fois partie des priorités thématiques de la stratégie de politique extérieure 2020–2023.»

L’utilisation des technologies numériques dans la politique étrangère

En s’engageant en faveur de la paix et de la sécurité dans le monde, en renforçant la prospérité économique au niveau global et en soutenant ses objectifs de développement durable contenus dans l’Agenda 2030 notamment, la Suisse compose de plus en plus avec les nouvelles technologies. Le numérique devient, par exemple, un instrument notoire au soutien de la politique humanitaire. En cas de crises ou de catastrophes naturelles, l’analyse des Big-Data et une meilleure mise en réseau des acteurs concernés permettent de retrouver plus rapidement les personnes disparues, tout en identifiant au mieux les besoins des victimes afin d’y répondre. Les technologies numériques touchent tous les départements de l’Administration fédérale et s’insère, d’une manière ou d’une autre, dans tous les plans d’actions que la Confédération mène à travers le monde. «Il est dans notre intérêt de continuer à défendre une politique extérieure cohérente et efficace, également dans l’espace numérique», écrivait Cassis.

 

Il est dans notre intérêt de continuer à défendre une politique extérieure cohérente et efficace, également dans l’espace numérique.
Ignazio Cassis, conseiller fédéral

Partant de là, la nouvelle stratégie sur la politique extérieure numérique a défini quatre champs d’action prioritaires:

Gouvernance numérique

Photo de la «Sphère Céleste» du Palais des Nations à Genève présentant, en filigrane, un rideau de code binaire composé par les chiffres 0 et 1.
Quelles normes doivent régir les nouvelles technologies pour les mettre au service de l’humain? La Genève internationale offre une plateforme d’échange unique en Suisse. © DFAE

La création d’une nouvelle gouvernance mondiale qui régirait l’utilisation du numérique à travers le monde se révèle complexe; idéalement, tous les pays devraient pouvoir s’accorder à respecter des normes et règles bien précises – qui auraient force de loi – pour garantir la bonne tenue et le respect sérieux des intérêts et des besoins de chacun. Or, si la révision d’un nouveau cadre légal serait assurément efficace, il existe aussi le besoin de miser sur un droit plus souple dans la réglementation du numérique. C’est plutôt dans cette voie que la Suisse a décidé de tailler son chemin. La Confédération s’engage principalement à rendre plus concrètes les normes du droit international déjà existantes dans le domaine du numérique sans en édicter de nouvelles et rejette toute réglementation trop stricte. Elle s’est ainsi engagée à adopter une position modérée et constructive.

Prospérité et développement durable

Un smartphone, posé sur une table, révèle la page d’accueil de l’application SwissCovid.
Certaines applications digitales permettent de favoriser le bien-être; SwissCovid a été pensée dans le but de limiter les infections par le coronavirus en Suisse. © unsplash

Les possibilités offertes par la numérisation devraient être mieux exploitées pour assurer une meilleure prospérité en Suisse et dans le monde. Pour la Confédération, elle représente une plus-value technologique au soutien de son économie et de ses intérêts en matière de commerce international. En cela, le numérique est un vecteur d’innovation extraordinaire et les domaines de la recherche s’en servent plutôt à bon escient. Mais ces innovations doivent aussi pouvoir permettre de réaliser, avec une meilleure efficacité, les objectifs définis en matière de coopération internationale et à la mise en œuvre universelle de l’Agenda 2030 en faveur du développement durable. Les technologies numériques doivent ainsi garantir des avancées majeures dans les domaines du commerce et de la finance (FinTech), de la médecine (Medtech), dans la promotion de la paix (PeaceTech) ou encore en faveur de la lutte contre la pauvreté (Tech4Good). C’est pourquoi, la numérisation constitue également une priorité dans la stratégie de coopération internationale. La Direction du Développement et de la Coopération (DDC) met déjà en œuvre ces objectifs dans le cadre de projets variés. Grâce à l’engagement de la DDC, le personnel de santé en Tanzanie, formé de manière rudimentaire, se repose sur une application pour améliorer le diagnostic concernant plusieurs maladies, dont la malaria. En 2017, un autre projet avait favorisé une indemnisation rapide à 203'000 agriculteurs du sud de l’Inde victimes de la perte de leur récolte de riz causée par la sécheresse. Cela avait été rendu possible grâce au programme national d’assurance-récolte et à l’identification des dégâts grâce à l’imagerie satellite.

Cybersécurité

Un passeport suisse est dressé à la verticale sur un bureau blanc.
Les passeports biométriques comprennent, de nos jours, des informations numériques nécessaires pour la protection de l’individu contre toutes formes d’usurpation. © Keystone

La promotion de la paix se doit d’être renforcée partout où cela est possible. Concrètement, dans l’espace numérique, cela signifie de favoriser la mise en place de structures et espaces d’échange permettant l’application du droit international et du droit international humanitaire. La Suisse reconnaît la validité des normes en vigueur et souhaite les appliquer dans la lutte contre toutes les formes de cyberattaque. En cela, la cybersécurité englobe un ensemble d’acteurs, allant des États à la société civile, en passant par les acteurs économiques. L’approche multipartite est une constante dans la définition stratégique de la politique extérieure de la Suisse, de même que sa longue tradition de bons offices.

Autodétermination numérique

Deux caméras de surveillances sont fixées sur un mur de béton. Un symbole représentant un cadenas apparaît en surimpression sur la photo.
Les technologies digitales sont utilisées pour assurer notre propre sécurité. Mais chaque individu doit maintenir le contrôle sur les données qu’il souhaite diffuser. © unsplash

L’autodétermination numérique est une nécessité pour garantir le respect de la vie privée mais aussi la liberté d’opinion. La collecte de données personnelles par les technologies numériques au quotidien laisse planer un doute quant à leur utilisation, parfois abusive, par des tiers ou par des États. Aucune de ces données ne doit pouvoir contribuer à la restriction des libertés individuelles fondamentales. Chaque individu connecté au monde par le biais de la digitalisation ou de technologies numériques doit être en mesure de contrôler le partage de ses données personnelles et pouvoir en déterminer leur utilisation future.

L’expertise de la Suisse et la place de la Genève internationale

La position de la Suisse sur le numérique se révèle ambitieuse; grâce à sa culture du consensus et sa tradition de bons offices, elle se positionne en médiatrice dans un environnement nouveau et difficile. Ses institutions, sa neutralité et sa réputation dans son ensemble inspirent confiance. C’est là un atout conséquent pour la Confédération qui espère jouer un rôle prépondérant dans le développement et la régulation attentive du numérique. «La géopolitique numérique et la tendance à la constitution de blocs font naître un besoin accru en termes de médiation. La Suisse peut se prévaloir de plusieurs succès de taille dans ce domaine et son engagement n’est plus à démontrer», lit-on notamment dans la nouvelle stratégie de politique extérieure numérique.

En cela, la Suisse cultive aussi sa tradition d’État-hôte. Elle souhaite s’appuyer sur la centralité de la Genève internationale pour s’élever à l’épicentre de la gouvernance internationale du numérique. La ville se révèle particulièrement active dans la recherche et la promotion des technologies numériques. La présence et le rayonnement de divers acteurs importants fait de la cité de Calvin une plate-forme multipartite que la Confédération s’efforce de renforcer par sa politique.

La Suisse est à la pointe en matière de développement d’applications et de technologies numériques.
Ignazio Cassis, conseiller fédéral

De plus, la Suisse est parmi les pays qui comptent le plus de start-up et jeunes entreprises qui travaillent dans le domaine de l’intelligence artificielle. «Grâce au cadre stable et favorable que la Suisse offre aux organisations qui souhaitent s’y implanter, et grâce aux hautes écoles, aux autres instituts de recherche et aux entreprises privées innovantes, la Suisse est à la pointe en matière de développement d’applications et de technologies numériques.»

En parallèle à la Crypto Valley dans le canton de Zoug et complétant la nouvelle Trust Valley dans la région lémanique, la Genève Internationale a déjà joué un rôle majeur dans le développement d’Internet grâce à sa collaboration avec le secrétariat du Forum de l’ONU sur la gouvernance de l’Internet (FGI) ou encore par l’intermédiaire du CERN. De plus, elle dispose, par la Geneva Internet Platform (GIP), d’un organisme permettant d’approfondir les connaissances sur la question des nouvelles technologies. Ainsi, la nouvelle stratégie de politique extérieure numérique dresse un ensemble de réponses prêtes à placer Genève et la Suisse encore plus au centre des préoccupations numériques.

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