Questions-réponses au sujet de la neutralité de la Suisse

Le Conseil fédéral a décidé, en date du 28 février 2022, de s’unir aux sanctions portées par l’UE à l’encontre de la Russie. En quelques questions-réponses, voici ce qu’il faut savoir à propos de la neutralité de la Suisse.

Quatre membres du Conseil fédéral réunis devant la presse. Le président de la Confédération Cassis a pris la parole.

Le 28 février 2022, le président de la Confédération Ignazio Cassis et trois autres membres du Conseil fédéral exposent devant les médias la décision du Conseil fédéral de durcir les sanctions à l’égard de la Russie. © Keystone

En décidant le 28 février 2022 de reprendre les sanctions européennes contre la Russie, le Conseil fédéral a-t-il renoncé à la neutralité de la Suisse?

Non, nullement: en reprenant les sanctions de l’UE, la Suisse ne porte nullement atteinte à sa neutralité.

La neutralité au sens strict, c'est-à-dire le droit de la neutralité, est toujours respectée sans restriction par la Suisse. Elle ne favorise aucun belligérant sur le plan militaire.

Par neutralité au sens large, on entend la politique de neutralité, qui recouvre toutes les mesures que la Suisse prend pour protéger la crédibilité et l’efficacité de sa neutralité. La politique de neutralité nous octroie une grande marge de manœuvre pour pouvoir réagir aux évolutions internationales. L’agression militaire russe contre l’Ukraine constitue une violation grave des normes élémentaires du droit international, sans équivalent dans l’histoire récente de l’Europe. C’est une réalité dont le Conseil fédéral a tenu compte lorsqu’il a décidé, dans le cadre de sa marge de manœuvre politique, de reprendre les sanctions de l’UE.

En amont de cette décision, quelles questions a-t-il fallu clarifier concernant la neutralité de la Suisse?

Nous avons dû vérifier si les paquets de sanctions adoptés par l’UE étaient compatibles avec les obligations relevant du droit de la neutralité. Cet examen a confirmé cette compatibilité. Du point de vue de la politique de neutralité, il a fallu déterminer dans quelle mesure la reprise des sanctions de l’UE risquait de peser sur la crédibilité de la neutralité suisse. La gravité de la violation par la Russie des normes fondamentales du droit international a été le critère déterminant à cet égard. Le Conseil fédéral est arrivé à la conclusion qu’une telle décision ne nuirait pas à la crédibilité de la neutralité suisse. La Suisse s'est fortement engagée, tant sur le plan bilatéral que dans le cadre multilatéral, en faveur de la prévention du conflit et des instruments de la diplomatie.

Doit-on fondamentalement repenser la neutralité en raison de la guerre en Ukraine?

La neutralité n’est pas une donnée rigide, mais un instrument de la politique extérieure, de la politique de sécurité et aussi de la politique économique, qu’il faut adapter en fonction du climat politique général. Par le passé également, le Conseil fédéral a régulièrement réexaminé sa conception de la neutralité et l’a adaptée, comme il l’a fait dans le rapport sur la neutralité de 1993. La guerre en Ukraine met à l’épreuve l’actuel système de sécurité international, et surtout européen. 

Le Conseil fédéral a conduit une discussion sur la neutralité le 7 septembre 2022. Il estime que la politique de neutralité, telle qu’elle est définie et pratiquée depuis le rapport sur la neutralité du 29 novembre 1993 garde sa validité. Les décisions prises par le Conseil fédéral depuis le début du conflit en Ukraine comme par exemple la reprise des sanctions de l’Union européenne envers la Russie, sont compatibles avec la politique de neutralité de la Suisse. Cette politique laisse suffisamment de marge de manœuvre au gouvernement pour réagir aux événements que traverse le continent européen depuis le début du conflit.

Il est demandé que la Suisse collabore plus étroitement avec l’OTAN, voire y adhère. Est-ce compatible avec la neutralité?

Tous les États membres de l’OTAN sont soumis à l’obligation d’assistance. En cas d’attaque armée contre l’un d’entre eux, les autres doivent l’assister, y compris par l’emploi de la force armée. En raison de cette obligation d’assistance, une adhésion à l’OTAN n’est pas compatible avec la neutralité. Mais il est possible et souhaitable d’examiner des formes de collaboration plus étroite avec l’OTAN et leur compatibilité avec la neutralité.

Certains demandent que la Suisse autorise également à l’avenir les livraisons d’armes à des États démocratiques qui ont été attaqués ou celles effectuées par l’intermédiaire de pays tiers. Est-ce compatible avec la neutralité?

Conformément au droit de la neutralité en vigueur, le principe d’égalité de traitement doit être observé pour les exportations d’armes par des entreprises privées. Un État neutre ne peut donc pas interdire les exportations d’armes par des entreprises privées vers une partie au conflit alors qu’il les autorise vers l’autre, même si elles se font par l’intermédiaire de pays tiers. Quant à savoir si des dérogations à la neutralité devraient s’appliquer aux livraisons d’armes à des pays démocratiques, cette question pourrait faire l’objet du débat politique.

Outre le droit international, la législation suisse en matière de contrôle des exportations devrait aussi être prise en compte et adaptée au besoin. La législation suisse contient des critères applicables aux exportations d’armes qui sont indépendants de la neutralité, comme la stabilité régionale et la situation des droits de l’homme dans le pays de destination. Ces critères devraient également être pris en compte pour les exportations vers des pays démocratiques.

Comment faudrait-il redéfinir la neutralité pour pouvoir, par exemple, collaborer plus étroitement avec l’OTAN ou livrer des armes dans des zones de guerre?

Le but de la neutralité est de préserver la sécurité et l’indépendance de la Suisse. La politique de neutralité offre une certaine marge quant à la manière de concevoir la neutralité afin d’atteindre au mieux cet objectif. Le droit de la neutralité fait quant à lui partie intégrante du droit international et la Suisse ne peut pas, à elle seule, le modifier. Si la Suisse voulait à l’avenir collaborer plus étroitement avec l’OTAN ou livrer des armes à certains pays, elle devrait vérifier la marge d’appréciation dont elle dispose au regard de la neutralité sans enfreindre le droit de la neutralité ni perdre la crédibilité nécessaire pour être perçue comme un État neutre. Théoriquement, la Suisse serait aussi libre de renoncer à la neutralité. Elle l’a elle-même choisie et n’y est pas tenue en vertu du droit international. 

La Suisse livre actuellement des armes à l’Arabie saoudite mais refuse d’en livrer à l’Ukraine. L’Arabie saoudite n’est-elle pas aussi une partie belligérante dans le conflit avec le Yémen? Comment est-ce compatible avec la neutralité?

Le droit de la neutralité ne s’applique pas au conflit au Yémen, car il s’agit, non pas d’une guerre entre États, mais d’un conflit interne. Le droit de la neutralité ne prévoit des droits et des obligations que pour les guerres interétatiques.

Au Parlement, diverses aspirations s’expriment en faveur d’une redéfinition de la neutralité. Certains demandent que le peuple vote sur cette question. Que dit le DFAE de ces aspirations?

Le DFAE se félicite du vif intérêt que porte le public à la neutralité suisse. La neutralité revêt une grande importance pour la Suisse. Elle est un principe d’action majeur de la politique extérieure suisse et constitue, sur le plan de la politique intérieure, un marqueur essentiel de l’identité nationale. Le DFAE est de ce fait convaincu que des changements d’orientation fondamentaux dans la conception de la neutralité de la Suisse exigent un débat ouvert et transparent.

Dans l’histoire suisse, la possibilité de définir la conception de la neutralité dans la Constitution ou dans une loi a déjà souvent été discutée, mais elle a été rejetée à juste titre : cela nous priverait de la marge de manœuvre nécessaire pour utiliser l’instrument de la neutralité en fonction du contexte international afin de sauvegarder nos intérêts. 

Droit de la neutralité et politique de neutralité

Le droit de la neutralité est clairement défini dans les traités internationaux (notamment dans les Conventions de La Haye de 1907), qui font obligation à l’Etat neutre de ne pas favoriser militairement des parties belligérantes dans une guerre entre États. À cet égard, le droit de la neutralité contient des obligations spécifiques, notamment en ce qui concerne le matériel de guerre et l’utilisation du territoire suisse.

La politique de neutralité, en revanche, ne concerne pas les obligations juridiques, mais la crédibilité de la neutralité suisse au sein de la communauté internationale. La manière dont cette politique de neutralité s’exprime n’est pas régie par un traité international, mais laissée à la libre appréciation de la Suisse. Elle est définie au cas par cas en fonction des circonstances concrètes.

En quoi la situation actuelle diffère-t-elle de l’intervention russe de 2014?

En 2014 déjà, la Russie a violé le droit international public. La Russie s’était alors montrée ouverte à une solution politique au conflit, et des processus de négociation avaient été définis à cet effet (accords de Minsk, groupe de contact trilatéral, OSCE). En lançant il y a quelques semaines une agression militaire contre l’Ukraine, la Russie a massivement violé les normes élémentaires du droit international, comme l’interdiction du recours à la force. Entre-temps, des négociations se déroulent entre la Russie et l'Ukraine. L’agression militaire de la Russie, qui se poursuit encore, dépasse toutefois de loin celle de 2014.

Quelle conséquence la décision prise par le Conseil fédéral aura-t-elle sur les conflits futurs? La Suisse va-t-elle désormais reprendre systématiquement les sanctions de l’UE?

Les sanctions adoptées par l’UE ne seront pas reprises automatiquement: le Conseil fédéral prendra ses décisions au cas par cas après avoir procédé à une pesée de tous les intérêts en jeu. Ce faisant, il tient compte du droit de la neutralité et de la politique de neutralité ainsi que des aspects liés à la politique étrangère et à la politique économique extérieure.

D’ailleurs, il convient de rappeler ici que depuis les années 1990, la Suisse a repris, en totalité ou en partie, la grande majorité des sanctions adoptées par l’UE. Dans le rapport du Conseil fédéral sur l’application des sanctions publié en 2017, il est indiqué qu’en principe, la Suisse reprend les sanctions décidées par l’UE depuis 1998, année où des sanctions furent prononcées à l’encontre de la Yougoslavie à la suite du conflit au Kosovo. Depuis, la Suisse a opté pour une reprise partielle des sanctions ou pour l’approche visant à empêcher le contournement des mesures internationales à l’égard de l’Iran, de la Russie et de la Corée du Nord.

Quel est l’impact de cette décision sur les bons offices de la Suisse? La Suisse pourra-t-elle continuer à jouer son rôle de médiatrice?

L’avenir nous dira si cette décision aura un impact sur les bons offices.

Les bons offices en général et la médiation en particulier constituent un volet important de la politique étrangère de la Suisse. La Suisse restera disponible pour cela. Les bons offices ne sont pas la raison d’être de la politique étrangère suisse et ne doivent en aucun cas servir de paravent. Dans le cadre de sa politique étrangère indépendante, la Suisse défend ses intérêts et ses valeurs, tels qu’ils sont inscrits dans la Constitution fédérale. Nous défendons la paix, la démocratie, les droits de l’homme et le droit international. Des valeurs qui n’admettent aucun compromis.

Dans le cadre du conflit actuel, la Suisse ne dispose pas d’une grande marge de manœuvre. Nous sommes confrontés à l’agression militaire à couverture nationale de la Russie contre un État souverain et démocratique, à une escalade de la violence sans précédent en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Compte tenu des circonstances, il est peu probable que la Suisse puisse jouer un rôle central dans la désescalade et la résolution du conflit. Mais il va de soi que la Suisse examine si des contributions ponctuelles sont possibles dans le domaine des bons offices. La discrétion est néanmoins de mise, sans quoi ces efforts seraient d’emblée voués à l’échec.

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