Enquête sur les crimes de guerre en Ukraine
À Boutcha et ailleurs en Ukraine, il existe des indices clairs que des crimes de guerre ont été perpétrés. La Cour pénale internationale (CPI) procède aux investigations correspondantes. La Suisse soutient cette enquête. Questions et réponses sur le rôle de la Cour pénale internationale et sur la réalisation d’une telle enquête.
Les tombes de trois personnes abattues à Boutcha. La Suisse demande que les soupçons de crimes de guerre soient étudiés par des organisations indépendantes. © Keystone
«Conflit armé», «personnes civiles», «crimes de guerre »
Comment le droit international humanitaire définit-il ces termes et d'autres ? Quelle est leur importance dans le cadre de la justice pénale internationale ? Notre glossaire apporte quelques réponses.
Quelle est la position du DFAE sur les accusations de crimes de guerre perpétrés à Boutcha et dans d’autres endroits en Ukraine?
Le président de la Confédération Ignazio Cassis et le DFAE sont profondément choqués par les terribles images de Boutcha et les informations provenant d’autres endroits en Ukraine. Elles constituent des indices de présumés crimes de guerre. La Suisse condamne avec la plus grande fermeté les violations du droit international humanitaire et des droits de l’homme. Les indices à ce sujet doivent faire l’objet d’une enquête indépendante et de poursuites judiciaires afin de rendre justice aux victimes, préalable indispensable à l’instauration d’une paix durable. La Suisse soutient activement la réalisation de telles enquêtes.
Quels actes sont concrètement interdits par le droit international humanitaire?
Le droit international humanitaire protège les victimes des conflits armés et limite les méthodes et moyens qui peuvent être employés pour faire la guerre. Les attaques ciblées et indiscriminées contre des personnes civiles ou des objets civils sont prohibées. Parmi les attaques indiscriminées figurent l’utilisation d’armes à sous-munitions et d’autres munitions explosives dans des localités habitées, car leurs effets sont incontrôlables dans cet environnement et ne peuvent pas être limités à un objectif militaire précis. Le droit international humanitaire exige en outre que les prisonniers de guerre et autres personnes internées soient protégés et traités avec humanité.
Le DFAE exige une enquête internationale indépendante sur les atrocités commises à Boutcha et évoque dans ce contexte la Cour pénale internationale (CPI). Quel rôle celle-ci peut-elle jouer en l’occurrence?
La CPI a déjà ouvert une enquête sur la situation en Ukraine. Une équipe d’enquêteurs recueille des éléments de preuve et les évalue. Au cours de son enquête, la CPI examine les accusations crédibles de crimes de guerre et d’autres violations du droit international. Le procureur évalue de manière indépendante et impartiale quels sont les indices à examiner. Toutefois seuls des individus, non des États, peuvent être poursuivis devant la CPI.
La CPI peut-elle inculper le président Poutine? Qui prend cette décision?
Le procureur peut enquêter sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité en Ukraine. S’il obtient des preuves de la culpabilité du président russe, il pourrait l’inculper et émettre un mandat d’arrêt. Si un tel mandat était délivré, la CPI ne pourrait toutefois pas le faire appliquer elle-même (elle ne dispose notamment pas de sa propre police), mais dépendrait pour ce faire de la coopération des États membres. Ceux-ci sont tenus d’exécuter un mandat d’arrêt de la CPI.
Quels sont les éléments nécessaires pour que la CPI ouvre une enquête? Une demande de la Suisse, par exemple, est-elle suffisante?
La Suisse, comme chacun des 123 États parties, peut soumettre une situation à la CPI pour enquête. C’est d’ailleurs ce qu’elle a fait: le 2 mars 2022, avec 40 autres États, elle a transmis la situation en Ukraine à la CPI, ce qui a permis au procureur de lancer immédiatement une enquête. Pour les États, il s’agissait aussi de rappeler que les crimes de guerre ne peuvent pas rester impunis. Le procureur peut également, de sa propre initiative, ouvrir une enquête dans un État partie, mais ce processus est plus long. Dans les deux cas de figure, la condition préalable est que l’État concerné accepte la juridiction de la CPI.
Par ailleurs, le Conseil de sécurité de l’ONU peut aussi demander à la CPI de mener une enquête. Dans les circonstances actuelles, cela n’est pas réaliste en raison du droit de veto dont la Russie dispose au sein du conseil.
La Russie et l’Ukraine sont-elles des États parties à la CPI?
Non, ni la Russie ni l’Ukraine n’ont ratifié le Statut de Rome, qui est le traité fondateur de la CPI. Cependant, l’Ukraine a reconnu la compétence de la CPI par une déclaration après l’annexion de la Crimée, qui constitue une violation du droit international. En conséquence, la CPI peut enquêter sur les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et, en théorie, le crime de génocide, s’ils ont été commis en Ukraine après novembre 2013. Dans un premier temps, le procureur a ciblé ses investigations sur la situation en Crimée et dans l’est de l’Ukraine, mais il les a désormais étendues à l’ensemble du territoire ukrainien.
Quelle est la durée d’une telle enquête?
Il est impossible de le prédire, elle peut durer plusieurs années. Toutefois, le procureur de la CPI a déjà envoyé une équipe d’enquêteurs en Ukraine. Cette équipe enquête sur des crimes perpétrés depuis 2013. Le DFAE suppose qu’elle enquêtera également sur la situation à Boutcha. Le procureur s’est par ailleurs rendu en personne en Ukraine et en Pologne début mars 2022. Une fois que le procureur aura réuni suffisamment de preuves, il délivrera des mandats d’arrêt. Un procès ne peut avoir lieu que lorsque les personnes faisant l’objet d’un mandat d’arrêt ont été déférées à la CPI.
Des experts suisses pourraient-ils également participer à une telle enquête?
En Suisse, le Ministère public de la Confédération a créé une task force dédiée à l’Ukraine et à la Russie, qui se concentre notamment sur le droit international pénal. Cette task force a pris des mesures, en étroite collaboration avec fedpol et le SEM, afin de recueillir et de conserver les éventuelles informations et éléments de preuve relatifs à des violations du droit international. La task force est également en contact avec la CPI.
La Cour pénale internationale a-t-elle déjà mené des enquêtes dans d’autres situations? Si oui, où et avec quels résultats?
La compétence de la CPI s’applique au crime de génocide, aux crimes contre l’humanité, aux crimes de guerre et au crime d’agression, à savoir les crimes les plus graves, et seuls des individus peuvent être poursuivis devant la Cour. Actuellement, elle traite 20 situations dans le monde entier et 22 affaires sont en cours. Par le passé, la CPI a déclaré certaines personnes coupables et en a acquitté d’autres. La Cour a prouvé qu’elle était indépendante et qu’elle respectait des normes élevées en matière de droit pénal.
D’autres instances que la CPI pourraient-elles mener une telle enquête?
En premier lieu, les États eux-mêmes sont compétents pour enquêter sur les crimes de guerre selon les normes internationales et engager des poursuites pénales. La CPI n’est compétente qu’à titre subsidiaire, lorsque les États concernés n’ont pas la volonté ou la capacité d’exercer leur compétence en la matière.
En outre, il existe des mécanismes d’enquête internationaux qui, par exemple, recueillent des preuves et les mettent à la disposition des organes nationaux et internationaux chargés d’établir les responsabilités, comme la CPI. Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a notamment créé une commission d’enquête sur l’Ukraine. Lors de la session spéciale du conseil, la Suisse a soutenu cette initiative.
La Suisse a par ailleurs défendu l’activation du mécanisme de Moscou au sein de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui recueille également des preuves de crimes de guerre en Ukraine et les met à la disposition des procédures pénales nationales et internationales (p. ex. la CPI). Enfin, la Suisse continue de soutenir la mission de surveillance des droits de l’homme des Nations Unies en Ukraine, qui existe depuis 2014. Elle est présente sur le terrain et enquête sur les violations des droits de l’homme.
Entre-temps, l’accusation de génocide est évoquée par rapport aux crimes de guerre commis en Ukraine. Quelle est la position de la Suisse sur cette question?
Qualifier certaines atrocités de «génocide» incombe en principe à des tribunaux et instances internationales disposant d’un mandat spécifique. La communauté internationale a défini le terme «génocide» dans la Convention pour la prévention et la répression du crime du génocide de 1948. Le génocide suppose une intention spécifique qui est particulièrement difficile à établir, ce qui constitue un obstacle de taille. L’intention génocidaire doit être prouvée dans le cadre d’un mécanisme indépendant et impartial. De manière générale, les indices corroborant cette allégation doivent faire l’objet d’une enquête indépendante et être soumis à un tribunal afin de rendre justice aux victimes.
Par ailleurs, la Suisse condamne toute prise de parole qui, par exemple, nie à l’Ukraine son droit d’existence ou appelle à la punition collective d’une partie de la population ukrainienne. Nous appelons les responsables à ne pas propager de discours de haine ni de fausses informations, qui ne font qu’attiser le conflit.