Madame la Conseillère d’État,
Monsieur le Syndic,
Cher Monsieur Loretan, chère Madame Bujès,
Chère Madame Chalverat,
Mesdames, Messieurs,
«La culture a besoin de dialogue.» Mais que faire lorsque les mots ne suffisent plus pour comprendre les évènements? Pour beaucoup d’entre nous, ce qui se passe depuis quelques semaines en Ukraine était jusque-là inimaginable: la guerre est de retour en Europe. Des milliers de personnes ont déjà perdu la vie, des millions d’autres ont pris la fuite. Il y a trois semaines, je me suis rendu en Pologne, à la frontière avec l’Ukraine. Là-bas, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec des familles qui ont dû quitter leur terre natale en craignant pour leur vie. Leurs récits sont bouleversants, aussi pour le président de la Confédération que je suis. La guerre déchire des familles, transforme des villes en champs de ruines et réduit la vie culturelle à néant. La guerre en Ukraine est une tragédie humanitaire et une attaque contre notre communauté de valeurs européenne. D’ailleurs, j’ai appris avec consternation le décès d’un grand ami du festival – le cinéaste lituanien Mantas Kvédaravicius – qui a été tué samedi 2 avril alors qu’il tentait de quitter Marioupol. Cet homme de culture est mort à 45 ans, une caméra à la main.
1. La neutralité, ce n’est pas de l’indifférence
Face à cette barbarie, quelles réponses pouvons-nous apporter? Le dialogue, les échanges, la recherche commune de solutions: voilà nos armes! Tout …plutôt que la confrontation violente. Ces dernières semaines, il a beaucoup été question de la neutralité de la Suisse et de sa compatibilité avec la reprise des sanctions de l’Union européenne. Mais permettez-moi une question, Mesdames et Messieurs: est-on neutre lorsque l’on favorise un agresseur en ne réagissant pas? Lorsqu’il s’agit de défendre le droit international, la Suisse doit être une partenaire fiable, sans ambiguïté. Être neutre, ce n’est pas rester indifférent. En attaquant l’Ukraine, la Russie a clairement violé les normes élémentaires du droit international. Nous nous devions de sanctionner cette agression. Nous l’avons fait fort de nos valeurs et en respectant notre droit.
2. Le progrès par le dialogue
L’histoire nous apprend que toute guerre a une fin. Qu’il y aura un moment où les armes se tairont à nouveau. C’est à cet objectif que nous travaillons, prêts à mettre notre action diplomatique et nos bons offices au service de la paix. Avec des paroles. Et non des armes. Tout progrès passe par le dialogue. Avec sa démocratie directe vivante et sa diversité linguistique, religieuse et culturelle, la Suisse pratique ce dialogue au quotidien. Une culture de l’écoute et de l’échange. Une culture qui nous permet de comprendre qu’il n’existe pas une seule, mais de nombreuses visions du réel.
Ce que nous tendons à considérer comme allant de soi est pourtant menacé dans de nombreux pays – pas uniquement en Ukraine, mais aussi en Russie, par exemple. Les attaques contre la culture du dialogue n’entraînent pas uniquement l’oppression des individus, elles entravent également le développement de la société dans son ensemble. La gestion pacifique des divergences de vues découlant de la diversité est l’une des principales réussites démocratiques de notre époque.
3. La diversité est culture. La culture est diversité.
Or, ces dernières semaines, nous avons dû constater, une fois de plus, que tous les pays ne misent pas sur cette diversité et sur le dialogue. Nous avons vu ce qui se passe lorsque la diversité est bafouée, que des biens culturels sont détruits et que de nombreux innocents sont tués. Quel est le rôle de la culture dans une telle période? Pouvons-nous encore nous réjouir de la lecture d'un livre, admirer la beauté d'un tableau et apprécier un film lorsque d'autres personnes craignent pour leur vie? Qu'est-ce que la culture en pleine guerre? La culture est un point d'ancrage de ce que nous connaissons – la culture est un foyer et une protection. Mais la culture est aussi une importante lueur d'espoir, une lumière au bout du tunnel qui nous montre le chemin pour sortir de l'obscurité. La culture est un pont entre le passé et l'avenir.
Comme le disait l’ancienne rapporteuse spéciale des Nations Unies dans le domaine des droits culturels Karima Bennoune, «sans art ni culture, le développement est quasi impensable». La Direction du développement et de la coopération du DFAE – la DDC – soutient un grand nombre d’artistes dans les pays du Sud et de l’Est dans leurs efforts pour bâtir des ponts et promouvoir le dialogue, au niveau régional, mais aussi international. Je suis donc très heureux que nous puissions une fois de plus cette année accueillir un grand nombre d’invités nationaux et internationaux au Festival Visions du Réel.
4. L’art, une invitation à nous laisser guider par le cœur
À bien des égards, les films sont puissants – pas uniquement parce qu’ils invitent les spectateurs et les spectatrices à se plonger dans un autre univers. Le nom du festival le dit bien – «Visions du Réel»: les manières de considérer notre monde sont si nombreuses. Les problèmes sont certes multiples, mais les solutions le sont tout autant si nous avons le courage de quitter notre zone de confort et d’observer notre monde sous toutes ses facettes. Dans ce changement de perspective, les films jouent un rôle très important. Ils ont le pouvoir de nous guider vers d’autres manières de penser et de diriger notre attention sur des sujets, des protagonistes et des défis qui, souvent, nous paraissent à la fois familiers et pourtant si différents. Il n’est pas rare que des artistes mettent le doigt sur des sujets où des changements sont possibles ou souhaitables. Ils permettent à la peur et à l’indignation de s’exprimer. Ils nous invitent à agir. Et ils nous rappellent nos valeurs, notre humanité.
5. La DDC, partenaire de longue date de Visions du Réel
Aux côtés de l’Office fédéral de la culture, la DDC entretient depuis de nombreuses années un partenariat avec le Festival Visions du Réel. L’importance de cette manifestation va bien au-delà de la projection de films: il s’agit de présenter de nouveaux projets, d’échanger et d’apprendre les uns des autres. Il s’agit aussi de découvrir de nouvelles perspectives. C’est pourquoi je voudrais remercier tous les cinéastes présents ce soir de leur engagement pour partager – avec le public ici présent, mais aussi avec le monde entier – leur vision des choses. Ils nous permettent ainsi de nous immerger dans d’autres réalités. Après deux années difficiles pour la culture, je tiens aussi à remercier les responsables du festival Visions du Réel, qui sont une fois de plus parvenus avec brio à mettre sur pied un programme passionnant avec des documentaires d’une grande diversité.
«La culture a besoin du dialogue.» Menons ce dialogue! Plongeons-nous dans les réalités de notre vivre-ensemble et explorons sa diversité! Je vous souhaite beaucoup de plaisir dans la découverte de ces projections et vous remercie pour votre attention.